Le conte de Noël de Misti
La pomme d’Izia
« Viens ici que je te donne un gros bec en pincettes ma p’tite étoile »
« Mamou, je suis trop contente de venir passer la semaine de Noël avec toi ! On fera des biscuits ? Et des beignets et… un gâteau pour… »
« Et tout ce que tu voudras ! »
La fillette jubile. Izia est gourmande et ses séjours chez Mamou et Papou, elle les attend avec impatience… Sa grand-mère est la meilleure cuisinière du monde. « Sois patiente ! », lui répète sans relâche sa maman. Mais la petite fille a du mal avec les jours qui défilent et les semaines qui passent… Mais elle y est enfin !
Que de joie ! Après au moins 100 ans d’attente, elle retrouve la petite maison de bois gris, le jardinet bien fourni, les bonnes odeurs de pâtisseries et les bras tout chauds de sa mamou chérie ! Maman et Papou s’affairent à préparer les décorations du sapin qui trônera fièrement au milieu du salon !
« C’est le plus beau du monde. On y mettra des cannes de sucre d’orge ? »
« Coquine », murmure sa grand-mère à l’oreille de sa petite fille… « Nous verrons bien s’il reste de la place sur les branches… et dans ton estomac… »
Quelques flocons tombent du ciel, une neige tout en douceur semble faire un gros câlin au jardin…
Par la fenêtre, Izia contemple cette nature tout juste endormie… Elle rêvasse… la fillette est aussi rêveuse que gourmande…
« Izia, tu irais remplir la mangeoire pour les oiseaux… Il y a un sac de graines derrière la porte de la cuisine… À cette période de l’année, la nourriture se fait rare… et… »
Mamou n’a pas terminé sa phrase qu’Izia la vaillante est déjà sur le petit chemin du jardin… son seau rempli à ras bord de graines diverses. Elle avance d’un pas décidé, s’amusant du bruit de ses petites bottes sur la neige gelée… « crouch », « crouch », comme quand elle croque des gaufrettes aux noisettes… Elle rit, fière de la comparaison ! Toute à son expédition, elle s’arrête soudainement saisie d’émerveillement, elle n’en croit pas ses yeux ! Le gigantesque pommier planté par le père de Papou il y a cent ans, celui-là même qui l’abrite les jours de fort soleil, ce pommier-là, qu’elle rêve un jour d’escalader quand elle sera grande, quand elle aura six ans, ce pommier a encore une pomme suspendue sur sa presque plus haute branche !
Jamais une pomme ne lui a paru si ronde, si rouge, si appétissante et… si haute à décrocher ! Oubliant son seau et sa mission, elle court, entre dans la maison, et tel le Petit Poucet, sème à la volée les précieuses graines dans le salon.
« Papou vite, il me faut une échelle ! »
Bottes encore aux pieds, le souffle court, elle a couru au moins 100 kilomètres… Izia dégouline au salon…
« Mais, mais, mais… Que fais-tu dans la maison encore tout habillée… ? »
Maman n’est pas contente.
« Quel dégât tu nous as fait ! Toutes ces graines, tes bottes mouillées… »
« Je m’en occupe ! ».
Mamou c’est la meilleure, elle ne gronde jamais… et puis là, c’est important…
« Papou, il faut une échelle pour monter au pommier, le tout grand, près du cerisier… »
« Pourquoi te faut-il une échelle, ma petite étoile ? »
« Pour cueillir la pomme ! »
Izia n’a jamais été aussi sérieuse et son Papou, jamais aussi intrigué.
« Quelle pomme ? Nous sommes en hiver Izia. Et l’hiver, les arbres se mettent en repos et… »
« Papou, suis-moi ! »
D’un pas décidé, et se gardant bien de croiser le regard désapprobateur de sa maman, la petite fille tire la grande et calleuse main de son grand-père !
« Regarde, elle est là ! Tout en haut ! »
« Mmhmm, tu as raison, il reste une pomme… Ça arrive… elle est bien accrochée… mais tu verras, elle finira par tomber… l’échelle est inutile, la branche est trop haute… »
Incroyable, son Papou, son héros, n’essaie même pas de lui décrocher… la pomme !
« Tant pis, j’attendrai qu’elle tombe alors… ! Ça va prendre combien de minutes ? »
« Oh, alors là, au moins 100 minutes… »
« 100 minutes ! C’est très long ! Et puis, elle doit s’ennuyer dans son grand arbre… C’est triste, elle est toute seule… »
« Mais non, elle ne s’ennuie pas, les oiseaux viennent lui dire bonjour »
Que la journée semble longue à Izia, tous les biscuits du monde ne lui changent pas les idées… ni rouler la pâte, ni les décorer, ni même les manger… Cette belle pomme rouge occupe toutes ses pensées… Le soir venu, le jardin s’illumine de petites loupiotes ballottées par le vent, on dirait qu’elles dansent… même le grand pommier brille de mille feux ! De la fenêtre, Izia plisse les yeux, elle ne voit pas la pomme. Peut-être est-elle tombée… mais défense de sortir en pyjama… pourvu que le renard ne la mange pas…
Le sommeil viendra tard cette nuit-là…
Première levée, plus ou moins habillée, sortie sans faire de bruit, Izia contemple, émerveillée, la pomme toute givrée… Comme elle est belle, vêtue de glace, elle scintille au soleil vivifiant du matin… Dans le jardin, on ne voit plus qu’elle ! Une pomme qui scintille comme une boule de Noël !
« Maman ! Mamou ! Papou ! Venez voir, vite ! »
Cette fois, Izia n’oublie pas d’enlever ses bottes et monte quatre à quatre les 100 marches du très long escalier qui monte à l’étage… Sa maman à peine éveillée, mais piquée par la curiosité s’empresse de rejoindre Izia déjà ressortie au pied du pommier.
« Regarde Maman, on dirait une boule de Noël »
« C’est vrai, tu as raison ! Elle est très jolie… elle ressemble aux décorations de mon enfance… »
« Elles sont où les boules de quand tu étais petite maman ? »
« Oh, je ne crois pas qu’il en reste. Noël après Noël, on les a cassées… puis Papou les a remplacées… par des moins fragiles… »
« C’est fragile, les boules de Noël ? »
« Certaines oui, ma puce… les plus jolies sont souvent les plus fragiles… »
Toute à sa réflexion, la fillette prend son petit déjeuner…
« Vivement qu’elle tombe cette pomme pour que je puisse l’admirer de plus près… et surtout la goûter… »
C’est long 100 minutes, et 100 jours aussi… Puis, un matin…
« La nuit fut douce, nous aurons un redoux pour Noël ! Izia, tu viens avec moi, on va mettre de l’eau aux oiseaux… »
Malgré le temps clément, Papou insiste pour qu’Izia attache son manteau… Puis elle emboîte le pas de son grand-père, très concentrée, essayant cette fois de ne pas échapper son seau…
« Nom d’une crevette à chaussettes ! Izia, regarde, la pomme est tombée ! »
« La pomme est tombée ! Où ? Où ? Où ? »
La fillette sautille à droite, à gauche…
« Attention ma p’tite girouette, tu as failli marcher dessus ! Et ton seau, fais attention ! »
Izia se demande tout à coup si elle est devenue aveugle… Elle ne voit rien de rien… pourtant, ça fait 100 minutes qu’elle cherche…
« Tiens, la voilà ta pomme ma p’tite étoile ! »
Incrédule, Izia observe cette petite masse flétrie, plutôt brunâtre que rouge, déposée au centre de la grande main de son papou…
« Mais, ce n’est pas ma pomme ! »
« Si, c’est bien ta pomme, celle accrochée tout en haut de l’arbre… Elle est tombée cette nuit »
« Mais elle ne ressemblait pas à ça ! Elle était si rouge, si appétissante, si… elle semblait si sucrée ! Je n’en veux plus ! Le renard n’a qu’à la manger ! »
Peinée de voir les larmes couler sur les petites joues rouges d’Izia… sa grand-mère la serre très fort contre son cœur, elle connait bien les déceptions des petites filles trop gourmandes et trop rêveuses…
« Sèche tes larmes et viens avec moi à la cuisine… J’ai quelque chose, un secret à te partager… tu verras… »
Des centaines et des centaines de minutes plus tard… derrière le joli comptoir de sa confiserie, c’est avec son plus beau sourire et tellement de chaleur au fond du cœur qu’Izia offre aux clients, à l’approche de Noël, les plus belles, les plus rouges et les plus brillantes pommes d’amour du monde !
Que vos plus précieux souvenirs ne s’effacent jamais. Que vous puissiez garder en mémoire vos rêves les plus doux…
À toutes et tous, de très belles Fêtes de Noël !
Misti
décembre 2022
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