Le ressenti d’une enseignante

L’école est un endroit particulier. Pour les enseignants et, je l’espère, pour les élèves, elle est plus proche d’une seconde maison que d’un lieu de travail.

Je n’ai pour ainsi dire jamais quitté les bancs de l’école depuis que j’y suis entrée vers cinq ans: écolière puis lycéenne, étudiante universitaire, stagiaire et enfin enseignante, seul le banc devenu pupitre a changé.

Si ces années ne m’ont pas découragée, c’est que tout dans cet endroit me rassure: l’odeur des couloirs si particulière, la sensation de la craie sur le tableau noir, la vue dégagée sur la cour arborée, la sonnerie qui rythme les journées et bien sûr les rires, les conversations, la vie qui habite les murs. Ma classe est un cocon, je m’y sens bien et je fais tout pour que mes élèves s’y sentent aussi bien que possible, en sécurité, confiants, ouverts à partager un moment d’échange et d’apprentissage.

Il y a quelques semaines, ce cocon a explosé, victime d’une bombe humaine dont la violence a remis en cause ses fondations même. Tout ce pour quoi j’ai travaillé tant d’années a volé en éclats: la sécurité, la confiance et le respect mutuel. Je ne l’ai pas vécu uniquement comme un acte de violence contre une seule personne, mais comme une violence contre l’école et tout ce qu’elle représente pour moi. Nous avons tous été violentés à différentes échelles par cet événement (élèves, enseignants, directeur, secrétaire, concierges, parents), car nous avons tous été arrachés à notre cocon rassurant, cocon que je pensais indestructible.

Aujourd’hui, je me sens perdue, en attente d’écoute, de compréhension et de soutien, un peu comme une enfant qui a besoin d’être rassurée par ses parents. Nos parents de travail que sont nos autorités n’ont malheureusement pas su répondre à ces besoins fondamentaux afin de pouvoir rapidement reconstruire ce qui a été détruit. Au lieu de nous épauler, de nous soutenir et de nous rassurer, ils nous ont asséné que la solution existe depuis longtemps et qu’on n’a pas su la trouver, que tout est mis en oeuvre pour que ça n’arrive pas (mais c’est arrivé), que nous avons failli.

Je reste donc dans l’incompréhension, à l’image de cet enfant dont la maison a brûlé et qui se fait taper sur les doigts par ses parents. Ils lui expliquent qu’il y a un minuscule extincteur à l’autre bout de la rue, qu’il n’avait qu’à s’en servir, car il marche très bien si on suit le très long et complexe mode d’emploi, et que c’est de sa faute s’il ne sait pas l’utiliser. Et, comme il a appelé les pompiers alors qu’il y avait l’extincteur, ils ont honte de lui et de son incompétence, ils ne veulent plus en entendre parler, ils ne veulent plus l’entendre du tout et qu’il se débrouille pour les réparations.

C’est donc sur des cendres encore chaudes que, à l’aide de tous les acteurs de notre collège, je reconstruis mon cocon. Entre incompris, on essaie de se rassurer, de s’écouter, mais on se sent un peu orphelin ou, en tout cas, bien seul face à l’ampleur des travaux, au danger d’un nouvel incendie et au manque d’extincteurs fonctionnels.

Lucille Nusbaumer, enseignante
mai 2023

 

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