Mathias est bien songeur, son esprit vagabonde… Il rêve de grand air, de verdure, de fleurs et de… poules ! Vivre à la campagne ! Son vœu le plus cher. Sa maman et sa sœur ne partagent pas ce souhait, elles aiment bien habiter la ville ! Faire les boutiques et aller aux restos, quand ils sont ouverts, bien évidemment. C’est leur sport préféré ! « On est bien ici », répète inlassablement sa maman. « Tout est à proximité ! » Bof ! Bof ! Ah ces filles ! Elles ne comprennent rien…

Dans quelques jours, c’est Pâques. Habituellement on se retrouve en famille pour le dîner. Tout le monde est là, les grands-parents, les tantes, les oncles, les cousins… Chacun apporte un plat et c’est la fête ! Mais cette année, encore, Mathias dînera avec sa maman, sa sœur et une voisine. Sa voisine préférée ! Elle vit seule… Mathias croit qu’elle est vieille parce qu’elle a les cheveux blancs et la voix qui tremblote… Sa maman affirme que ça ne veut rien dire la couleur des cheveux de nos jours… Ouais, en tout cas, elle est super gentille, elle apporte toujours des cadeaux ! Elle n’a pas d’enfant, c’est pour ça que ses cadeaux sont pas toujours rigolos… jamais de jeux vidéo… Quoiqu’une fois, Mathias et sa sœur se sont bien amusés avec leur hôtel à insectes ! Le voisin du bas un peu moins… il s’est fait piquer par « une bestiole qui venait certainement de cette foutue cabane ! ». « Même pas vrai !  », avait rétorqué sa sœur… mais, après plusieurs supplications, quelques larmes et un bon nettoyage, l’hôtel à insectes fût rangé au fond de l’armoire à balais… Ils n’ont jamais raconté ce malheur à la voisine, ça lui ferait trop de peine… et puis, elle ne pose pas beaucoup de questions… Elle ne s’en souvient peut-être plus de « l’hôtel à insectes »…

11h30. C’est le cœur battant que Mathias s’empresse d’aller ouvrir à la voisine ! Pile à l’heure ! Comme d’hab ! Sa maman panique un peu, elle n’a pas terminé de mettre la table… Bof ! De toute façon, ça sert à quoi de prendre une heure à décorer la table quand on enlève tout après pour être « plus à l’aise » ? Mathias n’a jamais compris… encore une histoire de filles sans doute !

« Bonjour madame… euh… madame Limoncello ! »

« Bonjour Mathieu ! »

« Non ! Moi c’est Mathias ! »

« Et moi, c’est madame Moncello… »

Oups ! Ça se ressemble… Limoncello, c’est qui alors ? Mathias remet cette enquête à plus tard, il y a plus urgent… Qu’est-ce qu’il y a dans ce sac en papier brun ? Trop petit pour contenir une trottinette et trop grand pour un jeu vidéo… Sa sœur et lui devront patienter encore un peu… c’est l’heure de l’apéro !

13h30. Le dîner touche à sa fin… enfin ! Mathias et sa sœur savent qu’il est impoli de quémander les cadeaux… C’est bien sagement, mais très impatients qu’ils espèrent l’ouverture prochaine du fameux sac de papier brun…

Il est 14h00. C’est avec une fierté non dissimulée que la voisine en sort des… chocolats ! Des chocolats ! Des poules en chocolat ! De la Petite Chocolaterie s’il vous plaît ! Une au chocolat au lait, une au chocolat noir ! C’est pas une trottinette, mais ça fera l’affaire ! La voisine, elle sait ce qui fait plaisir au ventre ! Mathias aime tous les chocolats : blanc, noir, au lait, avec noisettes… un vrai gourmand ! Un gourmand rêveur ! Elles sont belles ces poules, très appétissantes… mais Mathias et sa sœur sont bien repus… surtout qu’ils ont avalé quelques œufs en chocolat qui décoraient la table ! Une petite balade au parc des biches facilitera la digestion… Quelle chance, maman vient aussi ! La voisine préfère une petite sieste sur son canapé… Et c’est avec son plus beau sourire, quoiqu’un peu édenté, qu’elle prend congé de la petite famille…

« Merci encore, c’était très bon ! »

Quel bel après-midi ensoleillé ! Tiens, plusieurs familles ont eu la même idée ! « Bonjour » par ci… « Ça va ? » par là… Maman est toute guillerette : « Ça fait du bien de voir des gens, même masqués »… Elle « télé-travaille » pendant que Mathias et sa sœur vont à l’école… L’après-midi passe vite ! Trop vite…

Il est temps de rentrer… Ouf ! Pas de devoirs à faire, demain c’est congé ! Maman se remet aux fourneaux, pour une petite soupe cette fois… Mathias et sa sœur ont permission de télé… Un film que Mathias a vu cinq fois… mais il aime bien… parce que sa sœur n’aime pas… C’est au tour de Mathias de choisir… Na ! Na ! Na !...

Maman répète sans cesse que Mathias est « en pleine croissance ». C’est sûrement pour ça que son ventre fait du bruit… il a faim ! Le film, il le connait par cœur… la soupe n’est pas prête… et une petite poule en chocolat noir l’attend sur sa table de chevet… Une petite bouchée de rien du tout ne gâchera pas son souper… C’est ça la « pleine croissance »… Mathias se lève doucement du canapé… Coup d’œil rapide à sa sœur… rivée sur son téléphone portable « fausse bonne idée », reçu de son parrain pour son anniversaire… elle ne voit rien, n’entend rien… le chemin est libre…

« Oups ! Maman a mis ma poule en quarantaine peut-être… ou elle l’a mangée ? Non, pas maman… elle fait son régime de printemps… C’est ma poule ! Je l’ai mise là ! Qui l’a prise ? Mathias hésite à crier : « Qui a pris ma poule ? ». On ne mange pas de chocolat avant souper… il le sait… C’est sa sœur qui lui a joué un mauvais tour, c’est certain… elle s’est vengée pour le film… Elle l’a cachée… Faut la chercher alors…

Le ventre de Mathias fait de plus en plus de gargouillis et de… cot ! Cot ! Cot ! Des cot ! Cot ! Cot ! Mathias entend des cot ! Cot ! Cot ! Il a vraiment très faim alors ! Et de plus en plus, en s’approchant de son armoire à habits… C’est en poussant la porte entrouverte que Mathias retrouve sa poule… elle a des plumes, deux ailes, un bec et elle fait cot ! Cot ! Cot ! Mathias stupéfait recule d’un bond et retient un cri de stupeur ! « C’est quoi cette blague ? ». « C’est une poule ! Une vraie poule ! ». Revenu de sa surprise, mais encore un peu hébété, Mathias hésite à courir à la cuisine pour annoncer la bonne nouvelle ! « Maman, il y a une vraie poule dans ma chambre… une belle poule toute noire ! » Mathias n’est pas certain que sa maman soit aussi ravie que lui de cette visite pour le moins inattendue… Il décide alors de garder ça pour lui… oubliée la poule en chocolat… celle-ci est beaucoup mieux ! Celle-ci oui… et l’autre ? En chocolat au lait ? D’un pas furtif, Mathias pousse la porte de chambre de sa sœur ! Quel désordre ! Une poule y serait très heureuse tiens… L’instinct de Mathias est bon… à demi ensevelie sous une pile de chaussures, une petite poule brune le fixe du regard, pas de cot, cot, cot, mais de belles plumes bien ébouriffées ! Une poule de soie ! Son rêve ! Effrayée et peut-être un peu endolorie par le chausson de ballerine coincé sous son aile droite, la poule se laisse libérer et porter par un Mathias fou de joie… Le cœur battant, notre valeureux jeune fermier installe sa deuxième découverte dans l’armoire… Il y fait noir et c’est bien connu, les poules dorment quand il fait noir… Cette perspective de silence conforte Mathias… C’est un secret, son secret à lui…

 

« Mathias ! Viens ici ! Et vite ! Mathias ! » Aïe, c’est maman… maman en colère ! Elle a une drôle de voix… un peu tremblante, comme celle de la voisine…

« Oui maman ! J’arrive ! Oh non, elle est dans la chambre ! La chambre de l’armoire à poules ! Mathias accourt, il est trop tard… sa maman, assise sur le lit, tient énergétiquement une pile de vêtements à ranger… Elle est toute blanche… elle fixe les deux locataires de l’armoire… d’un regard ahuri, elle constate les dégâts… des plumes, des plumes, des fientes… il y en a partout ! Libérés, nos deux volatiles prennent la clé… du couloir… Ne sachant comment réagir, Mathias ose d’une petite voix après un long silence…

« Je peux les garder maman ! Stp !! ! Stp ! Stp ! Je vais bien m’en occuper tout seul ! ». Le jeune garçon n’a jamais vu sa maman dans cet état… Elle semble être en transe, entre colère et amusement… puis d’une voix posée, elle demande :

« D’où viennent ces poules Mathias ? Mathias stp d’où viennent ces poules ? »

« Heu ! Je ne sais pas trop… je crois que c’est les poules de la voisine… »

« N’importe quoi Mathias ! On ne peut pas garder des poules dans un appartement… On en reparlera demain, pour le moment attrape-moi ces deux bêtes à plumes ! Je vais chercher la vieille cage des hamsters à la cave et on les mettra sur le balcon pour la nuit ! Demain, je verrai qui appeler pour venir les chercher… Les poules de la voisine, quelle idée… ! »

Mathias est triste, c’est à contrecœur, et non sans peine qu’il installe ses deux nouvelles amies dans la cage… l’an dernier, maman a juré de ne plus jamais avoir d’animaux à la maison, les hamsters, quelle galère ! Un autre cadeau « fausse bonne idée » du parrain de sa sœur… La nuit s’annonce douce heureusement… Mathias ne trouve pas le sommeil… il est inquiet… tard dans la nuit, épuisé par toutes ces émotions, le marchand de sable passe enfin…

« Mathias, lève-toi ! »

« Déjà ? Je n’ai pas école aujourd’hui maman ! »

« Je sais… il est 8 heures et nous devons régler quelque chose, tu te souviens ? Viens déjeuner… On t’attend… Je prépare une omelette ! »

« J’adore les omelettes ! Merci Maman…

« Une omelette… mes poules ! J’ai oublié mes poules ! ». En un bond, décoiffé et encore en pyjama, Mathias est dans la cuisine ! Il a des poules à sauver ! Sauve qui peut ! Le voisin est là ! Le voisin « hôtel d’insectes » assis à table, il boit un café et rigole avec maman ! « Je le savais, ils sont complices… » Mathias tremble. Tel un guerrier, il est prêt à tout pour sauver ses amies à plumes.

« Bonjour petit, bien dormi ? »

« Euh, oui... »

« Et bien pas moi, imagine-toi que ma nuit fût écourtée par des caquètements… après une courte enquête, j’ai fait connaissance de tes deux nouvelles amies ! »

« Euh… »

« Les poules ne vivent pas en cage mon petit, tu le sais… En général, elles préfèrent le grand air… les grands espaces… »

« Oui, je sais… », bredouille Mathias.

« Que comptes-tu faire de tes poules alors ? »

Mathias reprend des couleurs, à nouveau combatif, d’une voix assurée, il répond :

« Je leur construirai un poulailler ! »

« Bonne idée petit », rétorque le voisin. « Je t’aiderai ! »

Mathias n’en revient pas ! Le voisin « hôtel à insectes » aime les poules ! Comme lui ! La maman de Mathias est d’accord… C’est un miracle ! Il peut garder ses poules… sur le balcon ! Fou de joie, Mathias gobe son omelette en un rien de temps.

« Va t’habiller petit et viens me retrouver chez moi… il nous faut faire la liste de tout ce dont nous avons besoin pour construire un poulailler… »

« Comptez sur moi ! Je suis presque prêt ! »

« Merci maman ! Merci ! Merci ! », s’exclame Mathias. « Tu es la meilleure maman du monde ! »

« Je suis heureuse aussi Mathias, la nuit porte conseil et j’ai décidé de te faire confiance encore une fois… j’espère que l’aventure « poules » ne se terminera pas comme l’aventure « hamsters »… Être propriétaire d’animaux, en particulier de poules en ville, c’est une grande responsabilité… Déjà, il faut construire une maison, la nettoyer, changer la paille… acheter des graines avec ton argent de poche… Fermer le poulailler avant la nuit… Bla ! Bla ! Bla ! Responsabilités… pas de vacances… »

Que de choses à faire, Mathias en est tout étourdi !

 

« Enfin fini ! C’est la dernière fois que je visionne ce film débile avec toi Mathias ! En plus, tu t’endors tout le temps devant. Tu as déjà vu la fin au moins ? »

« À la soupe les enfants ! C’est prêt ! »

Mathias émerge doucement du sommeil… tout ce caquetage autour de lui… il est embrumé… le film est fini et il a faim… La vie d’éleveur de poules de balcon attendra… pour le moment, il les préfère en chocolat !

 

Joyeuses Pâques !

Misti

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